Le double effet enseignant.
Quoi qu’on en pense, toute personne que l’on rencontre a un impact sur nous. La majorité nous laisse indifférents alors que d’autres ont un effet clair. Le monde de l’éducation n’y échappe pas. Selon mon point de vue, l’effet enseignant se scinde en deux portions soit celle relationnelle, et celle qui génère des fluctuations dans les résultats.
L’aspect relationnel.
Il est primordial que chacun des individus d’une classe ait une forme ou une autre de lien avec l’adulte. Que ce soit un rapport de complicité, un rapport d’entraide, ou une forme ou un autre de respect, la crédibilité se construit au quotidien et sur deux plans. Le lien humain et le rapport à l’apprentissage.
Le lien humain
Si l’adulte aime son travail et les jeunes, il y a une grande chance que ce dernier prenne le temps d’accueillir ces élèves, qu’il ait un système lui permettant de prendre du temps avec certains individus dans une journée, qu’il utilise l’humour sain, celui qui faire rire et qui est aux antipodes du sarcasme et que de temps en temps, il montre son côté humain. De par cette capacité, il peut aussi cibler les émotions du groupe, les nommer au moment opportun et démontrer qu’il modifie ces décisions au besoin.
Par exemple, une enseignante qui arrête son explication pour nommer la fébrilité qu’elle observait dans le groupe, et proposer une pause avant d’aller discuter dans le privé avec 2-3 élèves. L’autre qui lors d’un retour sur une altercation va nommer, dans un premier temps, les sentiments sous-jacents avant de passer au sujet des conséquences…
Les jeunes qui ont la chance d’avoir ce genre de prof sont plus détendus, plus ouverts aux apprentissages, savent que dans le besoin, ils seront entendus. Ces enseignants finalement ont des comportements qui appuient l’idée que les jeunes ont le droit d’être des enfants et que ces derniers ont plus besoin d’apprentissage que d’être contrôlés.
Le lien avec l’apprentissage.
Avoir un lien avec les jeunes et surtout ceux qui nous sont plus difficiles à rejoindre est primordial, toutefois il gagne à être amplifié par des attentes élevées face aux apprentissages des individus et du groupe.
Un enseignant qui a une crédibilité complète, sait comment expliciter la matière afin d’éviter les erreurs de compréhensions. Toutefois, il permet aussi l’erreur par l’utilisation des formatifs afin que l’élève de même que l’enseignant puissent savoir ce qu’il reste à être appris. Il instaure un système mesurant la progression et la communique à tous les intéressés afin que le statu quo ne soit pas une option envisageable dans cet environnement qu’est la classe qu’il ou elle pilote.
L’enseignement explicite
Beaucoup trop de place est accordée au questionnement, à l’approche par découverte ou encore, au magistral, et ce, lorsqu’une nouvelle notion est initiée. Outre le magistral, les autres méthodes ont leurs niches, toutefois pas lorsqu’on introduit une nouvelle notion. C’est exactement ces méthodes employées trop tôt dans le continuum de l’apprentissage qui génère des incompréhensions, des retards dans l’acquisition de la notion et exige alors des retours en arrière qui consument beaucoup de temps. Dans le processus, la crédibilité de l’enseignant en prend un coup.
Pour être amplifié, l’enseignement explicite et la progression (pédagogie 3.0) gagnent à être couplé car :
- si vous informez les élèves de leur progression sans un enseignement explicite, vous générez plus de stress que d’intérêt,
- et si vous déployez seulement l’enseignement explicite vous en réduisez de beaucoup la portée de cette approche.
Le formatif pour supporter la crédibilité.
Il est capital que l’élève puisse valider si :
- ces méthodes d’études
- les stratégies qu’il déploie et
- celles qu’il croit connaître
sont payante ou non pour lui SANS qu’il ne soit sous la pression de l’évaluation sommative. Cette idée qu’il peut prendre un « risque » sans danger de faire « baisser ces notes », supporte l’engagement. Cette liberté de performer ou non offre une ouverture chez l’élève qui va alors basculer dans le plaisir d’essayer des nouvelles stratégies (pour lui). Et ainsi, un nouveau palier d’élève apparaît via le tutorat assisté choisi par l’aidé, où un pairage gagnant-gagnant devient possible et où l’information donnée sur la progression de « l’aidée » obtient alors un double effet sur l’aidée et son tuteur. Certes, cette relation d’aide doit être modélisée, toutefois une fois déployée, l’apprentissage s’en voit décuplé.
La progression.
Si certaines notions de mathématiques et grammaticales sont parfois questionnables connaissant les outils maintenant disponibles (calculatrice, chiffrier, correcteurs, outils de révision de texte…), l’emphase est mise sur le dépassement de soi, et sur le plaisir engendré par la progression et ainsi, sa pédagogie devient universelle et transférable.
En instaurant ce mouvement vers l’avant, l’élève apprend clairement, quotidiennement que si son objectif n’est pas atteint, qu’il a des ressources (recueil de stratégies, contribution des pairs à la réussite de tous, échanges sur les méthodes les plus payantes …) afin de vivre des succès. Succès qui étaient anciennement reliés à des notes fixes et désuètes, remplacées dans cette classe par la fluidité de la progression.
La note
Ainsi, en utilisant ces dernières non plus comme portrait de comparaison avec le groupe, mais de balises entourant son propre cheminement, la note disparaît derrière l’excitation de mesurer l’effet que l’élève peut avoir sur ces apprentissages. Et avec cette disparition, il en va de même pour l’estime de soi qui devient dynamique, car il n’est plus un « 60 », le « 60 » devient un tremplin, un point de départ et non une finalité.
L’effet enseignant sur la fluctuation des résultats.
Bien que plusieurs enseignants semblent avoir une crainte maladive face à ces mesures prises sur les fluctuations des élèves, qu’ils ou elles le veuillent ou non, les notes de différents sous-groupements fluctuent dans le temps (gars/filles, jeunes/vieux, quartiles,…). Il e va de même avec les compétences. Ainsi, il n’est pas rare de voir qu’un même enseignant au primaire a un effet inverse en fonction de la matière. Par exemple les filles peuvent progresser plus que les garçons en mathématiques alors qu’en lecture, c’est l’inverse. L’effet est souvent clair, visible et répétitif dans le temps.
Ainsi, connaître son effet implique un changement d’approche, une quête de moyens plus efficaces que ceux déjà déployés, et en fin de compte, une épuration de nos méthodes. Un enseignant qui a un effet clair parle de moins en moins, et est de plus en plus explicite dans toutes ces interventions (comportementale, pédagogique…).
Maintenant, comment changer?
Premièrement en prenant conscience de l’effet que l’on a sur les groupes qui nous sont prêtés. On en a tous un, suffit de s’y attarder un peu.
Deuxièmement, ne pas avoir peur de voir, de mesurer, notre effet pour découvrir nos forces et nos zones plus vulnérables.
Troisièmement, partagez vos forces avec vos collègues, ils ont grandement besoin de vous et l’inverse aussi. On ne peut pas être bons avec tous les types d’élèves, dans toutes les matières, nous avons donc aussi besoin d’entendre la compétence de nos collègues.
Quatrièmement, axez sa formation continue non pas sur des choses intéressantes, mais sur des approches qui ont fait leurs preuves et je fais ici référence aux données probantes. Car toutes les approches ont leurs lots de données statistiques pour supporter leur présence, toutefois relativisée les unes par rapport aux autres, il devient évident que certaines ont plus d’effet direct et visible que d’autres.
Cinquièmement, s’enlever de la tête qu’une formation qui donne des résultats clairs et efficaces fera de vous des automates. Vous aurez amplement tout l’espace pour garder vos couleurs, mais plus d’élèves bénéficieront de ce que vous leur proposerez et en travaillant moins comme enseignant.
Sixièmement, soyez prêt à élaguer vos pratiques de certaines interventions. Vous faites déjà plusieurs éléments qui ont un effet puissant sur la réussite, toutefois ils sont entremêlés par d’autres qui s’avèrent être contre-productives. C’est ce qui explique le fait que la majorité des enseignants ont un effet neutre ou léger, parce que 2 bonnes interventions sont contrecarrées par une autre pratique qui défait ce que l’on a mis en place. Connaissez-vous celles contre-productives?
Enfin, soyez exigent avec les formations que vous recevrez. Elles devraient non pas vous montrer de nouvelle méthode, mais vous aider à nettoyer vos interventions, car vous avez de l’expérience qui mérite d’être reconnue. Ensuite, formez-vous à remplacer ce que vous faites au départ d’une notion par un enseignement explicite, réintroduisez l’évaluation formative, et communiquez la progression à vos élèves.
Excellent votre article.
Après plus de trente ans d’enseignement je suis tout à fait sur cette ligne. j’ai appris à lâcher prise et c’est comme ça que j’ai trouvé de saint graal. Mes élèves et moi prenons juste du plaisir en apprenant. Et croyez – moi ce n’était pas gagné !
Fort pertinent. Tu touches des points importants souvent oubliés.
j enseigne depuis 32 ans à la même école Je demeure dans le même quartier que l école . Presque chaque jour en allant faire mes courses dans ce quartier , je croise des anciens élèves qui me disent bonjour avec un grand sourire
tous me demandent si je les reconnais !!!!! Bien sûr que non Surtout les plus vieux . Mais quel plaisir ,que de les voir si heureux de me saluer . Ça fait chaud au coeur .
Exactement ces propos que je souhaite offrir à mon équipe, la théorie est explorée en 16-17, maintenant, besoin d’accompagnement avec témoignage et réalité tangible.